Quelle que soit la façon dont on aborde ce roman, il laisse un étrange et durable malaise.

Durable au point que plus de soixante-dix ans après sa parution il est une référence incontournable pour les chroniqueurs politico-médiatiques comme pour le grand public qui sans avoir jamais lu la moindre ligne de cet ouvrage n'en cite pas moins Big Brother en s'en faisant une idée assez précise.

A ma première rencontre avec cet ouvrage, j'étais lycé-enne, Jeunesse Communiste active et rebelle assumée. Je n'ignorais pas que derrière cette histoire estampillée "roman de science fiction" se cachait en réalité une charge contre le système soviétique en particulier et les totalitarismes en général.
Rédigé en 1948 par George Orwell, 1984 porte la marque des traumatismes de la 2ème guerre mondiale qui vit se confronter deux totalitarismes, le nazisme et le stalinisme face aux démocraties.

Depuis les grands conflits nucléaires de 1950, le monde est divisé en trois grands blocs : Océania, Estasia et Eurasia.
Ces trois blocs sont gouvernés par des régimes totalitaires assez similaires dans leur fonctionnement de base, issus du communisme, mais qui ont en commun d'avoir dévoyé la doctrine au détriment du prolétariat qui forme la classe la plus basse dans leur hiérarchie sociale. L'individu n'existe plus, quant à la libre pensée, elle est interdite.

Ces trois blocs se livrent une guerre perpétuelle, officiellement pour le contrôle d'une quatrième zone, le "quart-monde" qui regroupe la partie au nord de l'équateur de l'Afrique et les Proche et Moyen Orients.

Le héros, Winston Smith, est un quadragénaire qui vit à Londres (Océania), employé au Ministère de la Vérité qui gère les loisirs, l'information, la culture et l'éducation. Jour après jour il contribue à la réécriture de l'Histoire afin qu'elle colle avec les versions du Parti unique, l'Angsoc (Socialisme anglais en novlangue) et les besoins de la propagande immédiate.
Est-ce à force de se livrer à cette manipulation des archives ? Toujours est-il que Winston échappe à l'hypnose collective et prend conscience du danger qu'il court car aux yeux de la Police de la Pensée il est coupable de crime de la "double pensée", intolérable dans ce régime où est prohibée tout pensée personnelle hors de la doctrine officielle. Alors Winston feint l'orthodoxie en dissimulant sa conscience naissante.
Winston Smith entre en résistance mais il découvre toute la difficulté d'échapper à la surveillance omniprésente de Big Brother. Hélicoptères traquant le moindre comportement et même la moindre expression faciale non conformes, écrans extérieurs qui ne se contentent pas de diffuser la doctrine de l'Angsoc mais observent les citoyens, jusqu'au télécran qui diffuse les programmes officiels tout en vous surveillant à domicile... autant d'obstacles au projet très disruptif de Winston qui veut consigner dans un livre les dérives du Parti afin de laisser un témoignage pour les générations futures. Finalement il découvre dans son appartement un angle mort qui échappe à la surveillance de Big Brother où il peut écrire.

Lors du rituel quotidien des Deux minutes de la Haine durant lesquelles le Parti attise la haine contre Emmanuel Goldstein, leader de La Fraternité qui incite au renversement de l'Angsoc, Winston fait la connaissance de Julia qui lui fera des avances. Après la période de défiance (il pense qu'elle travaille pour la Police de la Pensée), ils vivront leur amour clandestin dans une zone qui échappe à la surveillance du Parti, brisant les interdits sur les sentiments et le sexe. Tous les deux rêvent de la révolution qui renversera le Parti quand ils sont contactés par un membre de la Fraternité, O'Brien, qui leur remettra "Le Livre" de Goldstein, sorte de mode d'emploi pour une révolution réussie.

Mais le Parti est partout.
Les deux amants seront arrêtés et le destin de Winston Smith sera tragique.

Extrait : "Et les gens qui vivaient sous le ciel étaient tous semblables. C'était partout, dans le monde entier, des centaines ou des milliers de millions de gens s'ignorant les uns les autres, séparés par des murs de haine et de men-songes, et cependant presque exactement les mêmes, des gens qui n'avaient jamais appris à penser, mais qui emmagasinaient dans leurs cœurs, leurs ven-tres et leurs muscles, la force qui, un jour, bouleverserait le monde."

Si cet ouvrage écrit en 1948 connait de nouveaux records de vente depuis le début de la crise covid, cela ne doit rien au hasard tant la technologie est de-venue intrusive dans notre vie privée.
Et il pose la question de notre passivité consentante à la perte de nos libertés alors que ces technologies nous font croire le contraire.
La Liberté, c'est l'esclavage.

Le concept de Big Brother n'est pas apparu récemment puisque déjà en 1983 le journal Le Monde publiait un article intitulé Big Brother au bureau. A cette époque je travaillais à la Carpa et le système de surveillance y était toujours opérationnel.
Que de "progrès" depuis !

Un livre que je vous recommande vivement de lire ou relire.