• Récolte 14 - Adieu Bosco

    Récolte 14, thème libre

    La Récolte : Anniversaire, mer, secret, marine, pudeur, cacher, bosco, perroquet,  mystère, vapeur, marié, brouillard, bleu, bâcher.

     


     

    Adieu Bosco

    Vieux thonier au port d'Etel (56)Derrière les paupières fermées sur la douleur, le bleu de la mer immense se reflète encore sur l'iris terni par la souffrance. Bientôt, oui bientôt, il sera vent debout pour parer à la dernière manœuvre qui le mènera au port du plus grand Mystère.

    Pour son treizième anniversaire il annonça à ses parents qu'il embarquait comme moussaillon à bord du vieux thonier tiré au sec au port de Quiberon. Dans quelques jours le vieux gréement,colmaté à neuf, reprendrait sa campagne et le garçon vivrait enfin son rêve secret : il serait Surcouf ou rien ! Ah ! Les rêves d'enfant !
    Par pudeur, à moins que ce ne fût par fatalisme, ses parents cachèrent leur tristesse. Ils l'avaient rêvé fonctionnaire, le voilà parti mousse mais ils espéraient qu'après la campagne d'été, il changerait d'avis et oublierait ses rêves de marine !
    Sur le pont du vieux thonier, l'apprentissage fut rude ! A coups de taloches et de botou coët* le métier entra, les doigts saignaient quand il fallait remonter les lignes où s'agitaient encore les torpilles argentées des germons qu'il faudrait éventrer tout à l'heure. Et comme si son corps était inépuisable il devait briquer le pont, dans la pestilence de la tripaille. Et malheur s'il restait la moindre tache ! Tels de vieux chevaux sur le retour, les anciens avaient le sabot agressif et fichtrement précis ! Mais il esquivait aussi vite qu'il apprenait !
    Quand il revint au port, ses parents comprirent vite que le petit était à présent marié à la mer dont il ne divorcera jamais.
    A la troisième campagne le capitaine le propulsa gabier. Il apprit à manœuvrer espars et cordages, à hisser et ramener les voiles auriques de plus en plus vite en gestes sûrs et précis. Entre deux campagnes au thon, il embarquait sur un des derniers chalutiers en bois et si il lui arrivait d'aider à hisser les pochées où grouillaient les poissons, il finit son apprentissage à la voilure, plus complexe. A dix huit ans il était devenu un marin expérimenté et sage qui ne redoutait plus rien d'autre que le brouillard qui retardait le retour au port et rendait le bateau plus vulnérable. Perroquet, cacatois, foc, plus une voile ne lui était inconnue. En peu de temps le moussaillon souffreteux passa matelot, gabier, maître d'équipage puis bosco1.

    La vapeur détrôna les voiles, les flottilles en bois regagnèrent le port définitivement. Comme on dit adieu à un ami, le Bosco vint au port d'Etel pour aider à bâcher son vieux thonier comme on met son linceul à un compagnon.
    Le Bosco abandonna les campagnes de pêche pour rejoindre la Marchande où il servit toute le reste de sa carrière. Quitter la mer eût été une traîtrise à ses yeux et comme il me l'avait dit un jour "kentoc'h mervel eget em zaotra**".

    Quand il rentra au port pour ne plus jamais le quitter, il resta pour tous le Bosco, même quand le cancer affaiblit son grand corps, et il ne serait venu à l'idée d'aucun de nous de lui contester ce titre !

     

    * botou (chaussures) couët (bois) : sabots de bois
    ** devise de la Bretagne "Plutôt la mort que la souillure" en référence à la fidélité au roi et le rejet de la république

    Anecdote : Je n'eut l'honneur et le plaisir de connaître le Bosco que trois ans. L'homme était dur, et malheur à qui aurait osé lui dire "Merde !". Un jour où il me demanda à propos de son fils, mon ex, pourquoi il était aussi borné, je répondis tout à trac "Normal Bosco ! Un vieux con borné, ça ne peut donner naissance qu'à un jeune con borné !". Toute la tablée retint son souffle, attendant la calotte qu'il ne manquerait pas de me mettre. Mais au lieu de cela il me mit une bourrade en se marrant et me servit une bolée ! Je fus la seule à pouvoir me permettre de lui parler de la sorte.
    Ce Noël là, je lui offris un livre sur les vieux gréements et il fondit en larmes en voyant une photo... de son premier thonier !

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  • Commentaires

    1
    Samedi 6 Juin 2020 à 15:22

    Un destin de marin..........Mais narré par toi cela donne une sublime histoire comme un roman condensé !

    Bravo

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    2
    mariejo64
    Samedi 6 Juin 2020 à 18:18

    Je me suis régalée en lisant ce texte si bien étayé de mots que je ne connaissais pas. Le vocabulaire de la marine m'est plutôt inconnu ! J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir certains mots. 

    J'ai apprécié à sa juste valeur, l'anecdote personnelle en fin de page. Bravo. Pas facile de tenir tête à un vieux marin, breton de surcroit ! :D 

     

      • Samedi 6 Juin 2020 à 18:38

        Je vais te faire un aveu : il m'a fallu compléter mes connaissances grâce au Net.

        Un  jour il me fit un sacré compliment, du moins je crois que venant de lui c'en était un : "Tu aurais mérité d'être Bretonne ! Tu es une penn couët !" (comprendre "tête de bois", autrement dit un peu... têtue !)

        Je suis contente si tu as eu plaisir à découvrir ce personnage, autant que j'en ai eu à le refaire vivre.

        Bisous Marie Jo

    3
    Emilie
    Samedi 6 Juin 2020 à 18:23

    Whouah ! Pro de la navigation à ce que je lis!

    Merci pour ce beau texte, comme quoi les rêves d'enfant...

    L'anecdote est drôle et saisissante aussi!

      • Samedi 6 Juin 2020 à 18:40

        Merci Emilie, j'espère avoir été à la hauteur du défi.
        Les 14 mots m'ont fait un peu peur à première lecture et puis... tout s'est enchaîné.

        J'ai pris un énorme plaisir à le relever !

        Bisous

    4
    Dimanche 7 Juin 2020 à 09:18
    Adrienne

    bravo! on sent bien l'expertise et le vécu transgénérationnel!

      • Dimanche 7 Juin 2020 à 09:31

        Merci Adrienne.

        Le Bosco avait aussi des talents de conteur, il me faisait un peu penser aux griots africains qui transmettent la tradition par la narration. Je trouve, à tort peut-être, que cela se perd et c'est fort dommage.

        Bisous

    5
    Dimanche 7 Juin 2020 à 12:11

    Belles descriptions d'une passion fait homme. C'est aussi un bel hommage rendu. Je suis certaine que le Bosco que tu as connu en aurait été tout aussi ému que le livre sur les vieux gréements offert. 

    6
    Dimanche 7 Juin 2020 à 13:42
    Lydia

    Eh, mais j'avais raté ce texte ! Bravo, je me suis régalée à le lire et l'anecdote finale est vraiment émouvante. On ne voit pas les mots imposés. 

    7
    Dimanche 28 Juin 2020 à 09:32

    Salut

    merci de cette belle aventure maritime, et une vraie histoire

    l’âme de Bosco reste là dans ces souvenirs d'eau

     

    bon dimanche

    revenu le soleil chez moi apres l'orage

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